Il est vrai que tout adolescent est à l’orée de ce franchissement d’un seuil pubertaire, génital et relationnel pour pouvoir entrer en tant qu’adulte dans la société. C’est alors l’occasion de la mise en place d’une nouvelle distance relationnelle avec les parents ; celle-ci navigue classiquement entre le refus de l’intrusion et l’angoisse d’abandon. L’adolescent est divisé, écartelé entre ses propres désirs contradictoires. Ce qui est probablement le pire à ce moment, c’est que la puberté et la sexualisation dans leur apparition rendent désormais possible la mise en acte des vœux œdipiens.
Tout un chacun peut remarquer que bien souvent à l’adolescence, lorsque le sujet cherche à prendre de la distance, en même temps, il ne lâche pas sa mère des yeux, il l’observe étroitement. C’est là, quand tout se passe bien, que les limites séparatrices et unificatrices d’un sujet prennent leur origine dans les limites de l’autre. Mais lorsque la mère (ou le père, ou quelqu’un de son entourage) n’a pas eu de limites, l’adolescence n’en est que plus difficile à traverser. Par exemple, lors de l’éveil de la sexualité génitale, certain(e)s adolescent(e)s ne peuvent se confronter à une culpabilité inconcevable, impossible à penser et à l’origine de confusion de leurs propres processus de pensée.
Mon hypothèse est que pour sortir de cette impérieuse dépendance relationnelle, la psyché se construit d’autres objets de dépendance, que l’adolescent(e) s’imagine pouvoir contrôler à sa guise – au moins pour un temps – comme par exemple l’alcool ou la drogue. Dans certains cas, la répétition compulsive des scarifications, dans un geste pour se punir et se faire du mal, peut calmer un peu cette culpabilité insensée, c’est le seul moyen, dans ce comportement à risque (de mort), d’accéder à une forme de limite, de mettre fin à une insupportable excitation très angoissante. Mais parfois, cette addiction auto-mutilatrice ne suffit pas à atteindre le degré punitif établit par la culpabilité, et il s’avère « nécessaire » pour le jeune sujet de tenter de se donner la mort.
Livrons-nous à un inventaire de ce qui peut se passer pour la jeune personne, entre le normal et le
pathologique, lors de cette »crise adolescente » tellement décriée.
En premier lieu, nous évoquons la crise des identifications. En effet, alors que le travail du pubertaire et de l’adolescens est de démettre les parents de leur idéalisation infantile, de liquider les imagos parentales afin que la plupart des investissements hérités de l’enfance soit pulvérisés avant même que la nouveauté soit mise en place, par exemple avec des amis et par une identification à des modèles parfois provocateurs, le fameux « Qui suis je? », trouve une réponse toute faite lorsque l’adolescent(e) annonce qu’il ne vaut rien.
Valoir quelque chose est un autre des passages de l’adolescence, celui des valeurs où il s’agit de trouver sa propre valeur qui n’est plus forcément en accord avec celles attendues par les parents. C’est alors que le sujet adolescent adhère souvent aux critères disqualifiants que son entourage a pu lui accorder. Ne peut s’ensuivre qu’une attaque d’un narcissisme déjà précaire, de l’estime de soi et de son amour-propre. C’est ainsi que ce déficit narcissique s’exprime le plus souvent par un sentiment chronique de vide et de doute concernant sa propre valeur, couplé avec un sentiment de toute-puissance hérité de l’infantile sans limites.
À l’émergence de l’adolescence, le corps prend une grande place puisque les limites du corps changent avec la puberté. La métamorphose des formes articulée à la sexualisation de l’existence bouleversent chez tout un chacun les repères fondés sur le corps infantile. Ce qui en général aboutit sur une perturbation de l’image de soi, se traduisant bien souvent, chez ces jeunes sujets, par de longs face à faces dans le miroir à tenter d’apprivoiser une nouveauté qui n’est pas toujours bienvenue. Plus qu’une crise, l’adolescence nous apparaît comme une véritable déchirure du corps infantile, mettant ainsi clairement en scène la violence interne qui fait éclater les territoires anciens de l’enfance. Cette effraction pubère déchire le tissu du corps de l’enfance et fait craquer son enveloppe, pour laisser place à un nouveau corps génital où la subjectivité risque à chaque instant de se perdre pendant cette tempête intérieure. À l’adolescence, la violence semble venir de l’objet, de l’autre, pas de la pulsion. Au plus fort du passage, la haine qu’éprouve l’adolescent(e) lui paraît légitime, parce qu’elle se donne comme réponse à une attaque donc celui-ci se sent la victime. La violence est donc toujours celle de l’autre, la sienne n’est qu’une réponse.